Mercredi 5 avril, 8H16, en permanence du collège où je taffe pour surveiller les élèves collés. Pas de musique dans les oreilles, mais si l’ennui et la fatigue avaient un son ça serait sans doute celui du silence qui plane dans cette salle. Si j’avais pu me mettre une musique dans les oreilles ça serait sans doute culling voices de tool, une mélodie progressive de 10 minutes qui monte jusqu’à exploser dans les derniers instants, un bijou auditif.
J’ai enfin trouvé comment qu’on met un lien Spotify, mais y a qu’un extrait je sais pas encore comment mettre le son en entier. On avance lentement mais sûrement
L’avantage du collège, c’est les vacances scolaires : dans 2 semaines j’aurai très exactement 19 jours de repos. Dans l’absolu c’est que du bonheur mais je vais pas tant me reposer, sur ces 19 jours je fais 16 scènes dans 10 villes différentes, dont aucune à Paris. Ça va être crevant mais là aussi, c’est que du bonheur. Au pire je me reposerai au retour des vacances, je compte bien arrêter de bouger après ces quelques semaines et m’accorder du temps sans jouer particulièrement.
Nan je déconne. Le lendemain de la rentrée je pars à Toulon puis à Marseille le lendemain, à Montpellier la semaine suivante, et à Reims la semaine encore après. Et encore j’ai pas fini de programmer mes dates pour le mois de mai, vous êtes pas prêt.es ! Et ça tombe bien parce que moi non plus, chui partagé entre l’excitation et la fatigue par avance.
Mais ça m’apporte beaucoup de bouger en dehors de Paris, plus ça va et plus ça me saoule que tout soit centralisé dans cette ville. Et plus j’en sors, plus je me rends compte que je la déteste. Plus j’évolue là-bas et plus elle m’apparaît comme un cimetière des rêves, où la naïveté et l’engouement des débuts laissent place à l’ambition autodestructrice et la rivalité mal placée, dans une jungle où la passion est remplacée par le désir de dévorer ses pairs par instinct de survie.
…
Houlà, un peu longue et triste cette phrase
Paris = caca ?
Meh, trop concise celle-là
Bon bref vous avez l’idée, cette ville me saoule
En plus l’intermittence à Paris c’est une galère sans nom, tout le monde la veut donc tout le monde a des plans improbables. On met des années à accéder à des scènes payées au cachet, donc on doit passer par d’autres moyens qu’ont rien à voir avec le stand up : figuration, publicité, pièces de théâtre, régie, évènements pour des anniversaires, la liste est longue. On peut aussi créer nos propres cachets par le biais d’une association : pour faire un cachet de 200€ par exemple, on donne 110€ qu’on met de côté pour cumuler l’intermittence pour l’année qui arrive, et on garde les 90€ pour nous. Tout ça c’est des manières moins directes d’y accéder, et je commence à avoir des contacts qui me permettraient d’en passer par là dans un futur proche, mais on y est pas encore. Puis bon à choisir entre jouer à Bordeaux et me déguiser en Dark Vador pour les 8 ans du petit Mathis le choix est vite fait, j’adore Star Wars mais je préfère les cannelés.
En attendant de passer par ces solutions je bouge énormément pour jouer dans plein d’autres villes, ce qui est beaucoup plus enrichissant – humainement comme financièrement. Quand tu joues trop à Paris, tu rentres dans un système où tu fais plusieurs scènes par soir et tu dépenses trop d’énergie pour pas assez de résultat. là où j’écris ces lignes, à Toulouse, je peux gagner en une scène ce que d’autres n’arriveront pas à toucher en faisant 4 scènes le même soir aux 4 coins de Paris, et je peux faire ça en n’ayant pas bougé et en ayant fait des belles rencontres dans un climat beaucoup moins anxiogène.
L’avantage que j’ai c’est que je bénéficie du graal des humoristes, TGVmax : pour 80€/mois, j’ai un accès à des trains gratuits qui me permettent de jouer partout sans me ruiner. C’est une offre valable pour les moins de 26 ans, et j’en ai 23 donc j’ai encore 2-3 ans devant moi pour m’en servir
Alors évidemment y a des inconvénients : tu peux réserver que 6 trains à la fois, réservables 30 jours avant, certaines villes n’ont aucun accès TGVmax, des fois tu dois faire des correspondances à l’aller et au retour donc après il te reste que 2 réservations pour une seule destination, c’est toute une organisation à mettre en place pour perdre le moins d’argent possible. Mais à côté de ça je vois que je gagne beaucoup mieux ma vie depuis que j’ai commencé à bouger un peu partout, et surtout je retrouve le stand up comme je l’aime. En dehors de Paris je retrouve la passion et l’entraide, l’envie d’évoluer ensemble, le partage… Et je sais que je suis biaisé par le fait que cette ville m’insupporte de plus en plus, si on y réfléchit bien y a aussi de l’entraide à Paris. Mais si tu connais pas les bonnes personnes, tu finis vite par sombrer dans une avidité malsaine.
Prenons un humoriste fictif, qu’on appellera Lucien. Lucien se lance dans le stand up, il vit à Nantes et fait ses premières scènes là-bas. Il y rencontre des gens qui lui offrent des occasions de jouer plus, il s’intègre petit à petit à la bande d’humoristes du coin, et après plusieurs années à faire des scènes et traîner avec ses potes du milieu Lucien obtient son intermittence à Nantes. Lucien est heureux.
Prenons maintenant un autre humoriste fictif, qu’on appellera Mathieu. Mathieu se lance dans le stand-up, il vit à Paris et fait ses premières scènes là-bas. Il passe par des open mic pas payés où il doit payer une consommation pour pouvoir jouer devant 4 personnes. Il rencontre d’autres humoristes sur ces open mic avec qui il sympathise, iels créent des projets ensemble, tout va bien dans leur vie. Mais après plusieurs années, Mathieu veut arrêter les open mic et les plateaux dans des bars annulés 1 fois sur 2. Mathieu veut jouer sur de gros plateaux dans des gros comedy club, alors il se tue à la tâche pour obtenir une petite place dans les lieux convoités de Paris. Après plus de 500 scènes au compteur, Mathieu parvient à son objectif mais aveuglé par son ambition, il a tourné le dos aux gens qui l’ont vu évoluer. Mathieu est devenu une merde. Bouh Mathieu, huons Mathieu ensemble, tu t’es fait bouffer par Paris Mathieu, t’es fort en stand-up mais t’y as laissé ton âme Mathieu
Je rappelle, c’est que ma vision des choses et je comprends que cette ville plaise à beaucoup de gens, mais perso je préfère aller de villes en villes et vivre une nouvelle aventure tous les jours, pour lier la passion du début avec la simple ambition d’en vivre. Rien que pour écrire cette lettre je m’y suis pris dans 3 villes différentes :
Vendredi 7 avril, 16H27, au café auguste à Bordeaux. A l’heure actuelle mon endroit préféré toutes villes confondues, chaque fois que je reviens à Bordeaux je reviens ici pour écrire. M’y voilà posé avec the adults are talking des strokes dans les oreilles, ma chanson préférée dans mon endroit préféré, le pied absolu.
Bon, au final 2h après avoir écrit ces lignes j’ai quasi rien écrit d’autre pour aujourd’hui dans ce bar, mais putain la vie c’est bien quoi.
Samedi 8 avril, 10h35, de retour au café des artistes à Toulouse avec the backseat lovers en fond musical. Quand je viendrai habiter ici, ça deviendra très propbablement mon QG pour venir écrire. Et en disant ça je me rends compte qu’à Paris j’ai pas de QG pour écrire seul, avec des potes on se retrouve régulièrement au Bolibar dans le 19ème pour parler et boire des cafés mais il me manque un point d’ancrage dédié au taf en solo. Cela dit vu les prix à Paris j’ai la flemme d’en chercher un, ça servirait à quoi de sortir de chez moi pour aller boire un café en terrasse et me confronter à l’ambiance morose et l’air pollué par le stress et la nuisance sonore ?
Bon, je crois qu’on a compris que j’aime pas cette putain de ville, revenons au sujet de base : jouer hors de Paris c’est trop bien. Au-delà de l’expérience humaine qui me fait que plaisir, bah mine de rien ça rapporte pas mal. Le mois dernier j’ai fait un bénéfice de 450€ avec tous les chapeaux que j’ai eus, ce mois-ci je vise les 1000€. Sans doute que je les aurai pas vraiment, mais dans tous les cas je pourrai mettre de côté pour prévoir le déménagement à Toulouse et pour investir dans des projets futurs, voire pour dépanner dans les mois où j’aurai moins d’argent. Ça vient me conforter dans l’idée que si je veux lâcher mon taf cet été pour tenter le combo « chômage + CAF + chapeaux » en attendant l’intermittence, je peux le faire cette année. L’or il est plus à Paris il est dans tout le reste de la France
Sur cette réflexion je suis curieux d’avoir votre avis : plus ça va et plus j’ai l’impression que le stand up se décentralise, qu’il y aura bientôt plus besoin de Paris pour réussir. Aujourd’hui le stand up se développe un peu partout, et être à Paris c’est surtout réservé aux gens qui veulent percer. Perso j’en ai plus rien à foutre de percer : je veux juste en vivre et m’amuser, rencontrer des gens cools, créer des nouvelles choses, et j’ai pas besoin d’avoir des millions de fans pour ça. Tant pis si j’ai pas mon spectacle sur netflix, je préfère mille fois faire le con dans un bar cool avec mes potes. Si en plus je peux le faire en payant pas le train et en visitant les quatre coins de la France, le tout en ayant moyen d’en vivre, qu’est-ce que je peux demander de plus ?
L’intermittence. C’est ça la réponse, je peux demander l’intermittence. Je rappelle l’objectif à la fin c’est ça, j’ai trouvé un moyen confortable de me faire kiffer mais y a encore beaucoup d’étapes à franchir pour y arriver, et je pense pas être au bout de mes surprises
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